Sous nos pas, une vie insoupçonnée …

Sous nos pas, une vie insoupçonnée …

admin . Publié dans Science & vie 4036

Quand nous foulons le sol, nous ignorons généralement que de très nombreux êtres vivants s’y trouvent. Certes, les jardiniers en connaissent quelques-uns, comme les Lombrics ou vers de terre ou les larves de certains insectes, en particulier des Coléoptères, appelés communément « vers blancs ». Dans une belle prairie verdoyante, les Lombrics peuvent représenter la masse incroyable d’une tonne par hectare et ils sont à même de brasser toute la terre en quelques années, les déjections à la surface du sol (les turricules) pouvant finir par recouvrir entièrement des fragments de roches ou autres objets posés sur le sol. L’abondance des Lombrics dépend de la nature du sol et de son humidité, et ils sont en général entre 50 et 400 au mètre carré, dans un sol brun non cultivé, en pays tempéré. Dans ce même type de sol, on peut dénombrer une centaine de larves de Coléoptères par m2, mais il n’y a pas que ça ! Il existe en effet une microfaune très importante où les Collemboles, insectes minuscules dépourvus d’ailes et les Acariens sont largement représentés avec des densités de 20.000 à 500.000 par m2. Il y a aussi un grand nombre de Rotifères (50.000 à 1 million par m2), de minuscules vers Nématodes (1 à 10 millions par m2) et d’innombrables Protozoaires (100 millions à 1 milliard par m2). Je me suis intéressé à la microfaune des sols dans les années 1970, après l’acquisition d’un ouvrage remarquable acheté à Paris alors que nous habitions dans la capitale(1). Quelques années plus tard, je découvris en passant devant une vitrine parisienne un autre manuel intéressant concernant les microarthropodes du sol(2). Ce dernier document fut réalisé par un chercheur du Museum National d’Histoire Naturelle, à Paris, Yves Coineau, que j’eus la chance de rencontrer à Nouméa en avril 2001, lors d’une conférence.

Les microarthropodes du sol ont retenu l’attention de quelques chercheurs il y a environ un siècle et ils ont conçu plusieurs dispositifs permettant de les extraire pour les identifier et les dénombrer. Le plus ancien est dû à Antonio Berlèse (1863-1927), un entomologiste italien. L’appareil décrit en 1905 est constitué d’un entonnoir surmonté d’un tamis sur lequel est posé l’échantillon de sol à étudier. L’entonnoir est placé dans un récipient plein d’eau qu’un bec Bunsen permet de chauffer. En 1917, un allemand, A. Tullgren, a décrit un autre dispositif où une lampe électrique placée au-dessus de l’échantillon de sol permet de combiner la lumière et la chaleur pour inciter les microarthropodes à descendre dans l’entonnoir d’où ils tombent ensuite dans un flacon d’alcool. Par la suite, différentes améliorations ont été apportées, surtout dans les années 1950-60, pour traiter des séries d’échantillons dans des conditions identiques et reproductibles. L’appareil conçu par Guy Vannier(3), en 1964, permet de suivre la déshydratation de l’échantillon de sol avec une balance enregistreuse, et la récupération des microarthropodes se fait dans plusieurs flacons se mettant en place à des intervalles de temps réguliers.

Il n’est pas difficile de construire un appareil d’extraction de microarthropodes avec des moyens limités, et des expériences sont même réalisées dans les collèges dès la classe de 6ème. Pour recueillir beaucoup de microarthropodes, il faut utiliser un appareil pourvu d’un grand tamis, mais l’appareil que j’ai réalisé, bien que de dimensions réduites et donc peu encombrant, m’a permis de découvrir les principales espèces de la microfaune. Le tamis est confectionné avec un tube de plastique (PVC) de 11,7 cm de diamètre intérieur et de la toile métallique de moustiquaire à mailles de l’ordre de 1,5 mm. Ce tamis fut posé, dans un premier temps, sur un entonnoir en verre entouré de papier noir. Par la suite, j’ai trouvé dans le commerce un entonnoir en aluminium moins fragile. Il est important de ne pas utiliser un entonnoir en matière plastique car les charges électrostatiques pourraient empêcher les microarthropodes de tomber dans le flacon d’alcool. Durant les premières décennies, j’utilisais une lampe à incandescence de faible puissance mais je l’ai remplacée récemment par une lampe à basse consommation qui chauffe moins, ce qui permet d’éviter le séchage trop rapide des échantillons de sol et permet de récolter des spécimens d’espèces moins mobiles le second jour d’extraction.

J’ai réalisé de nombreuses extractions de microarthropodes du sol, tant en France métropolitaine (Yvelines, Indre) qu’en Nouvelle-Calédonie lorsque j’ai eu à m’occuper de revégétalisation d’anciens sites miniers à partir de 1988.

Les microarthropodes du sol ont un rôle important dans le processus de dégradation de la matière organique morte : « L’action des Microarthropodes du sol se situe principalement au niveau de la première phase du processus de dégradation de la matière organique. Grâce à un appareil buccal particulièrement bien adapté, les animaux procèdent inlassablement à la dilacération des débris organiques et, par ce travail de sape, développent considérablement les surfaces d’attaque par les microorganismes tels que les Bactéries et les Champignons. Ces derniers sont alors capables d’engendrer des composés simples assimilables par les plantes, comme par exemple les dérivés azotés solubles. » (G. Vannier, 1971).

Les Collemboles, avec leurs trois paires de pattes, sont donc classés dans les Insectes, mais ils possèdent une particularité avec un organe permettant de faire des sauts spectaculaires, la furca, petite fourche normalement maintenue sous l’abdomen par un appendice, le rétinacle. Pour échapper au danger, les Collemboles libèrent la furca ce qui peut les propulser sur des distances de plusieurs centimètres, jusqu’à 20 cm pour certaines espèces4. Les Collemboles actuels sont les descendants de Collemboles apparus au Dévonien (-400 à -340 millions d’années), représentants des premiers insectes, les formes ailées étant apparues par la suite. La biologie des Collemboles a fait l’objet de nombreuses publications, dont celle de Z. Massoud5. La reproduction des Collemboles est très curieuse, avec émission de spermatophores par les mâles qui guident ensuite les femelles pour leur fécondation, un processus qui rappelle celui des Myriapodes et des Scorpions. Dans certains cas, la reproduction peut se faire par parthénogenèse. Plus d’un millier d’espèces étaient connues au début des années 1960 (6).

Les Acariens du sol sont également très nombreux et diversifiés. Les espèces à téguments épais sont assez résistantes à la sécheresse. De nombreuses espèces, souvent plus petites, ont des téguments minces et blanchâtres. Ces Arthropodes à huit pattes ont fait l’objet d’études détaillées menées par Yves Coineau. Comme pour les Collemboles, l’identification précise des Acariens a bénéficié du microscope électronique à balayage dont l’utilisation courante a commencé dans les années 1970. Parmi les Acariens, le groupe des Oribates, caractérisé par des téguments bruns épais et une forme globuleuse, est le plus important avec environ 5000 espèces. Ces Acariens consomment des débris organiques, des algues et des filaments mycéliens.

Dans une poignée de sol et de mousse de la petite forêt située au pied de la Roche Amère, près de notre village de Haute-Provence, j’ai pu extraire un peu plus d’une centaine de microarthropodes parmi lesquels les Acariens Oribates sont largement prédominants. Cette petite expérience, simple à réaliser, montre qu’un sol est vivant. Outre les microarthropodes, il est possible d’extraire, en milieu aqueux, d’autres êtres vivants : Bactéries, Protozoaires, Rotifères, Nématodes … Tout ce petit monde est naturellement sensible à l’hygrométrie, la température, la couverture végétale … et bien évidemment aux fertilisants et aux pesticides. Le sol est donc un milieu fragile, qui ne se reconstitue qu’au terme de plusieurs milliers d’années(7) et qu’il convient par conséquent de préserver, en particulier en évitant sa destruction par le processus d’érosion favorisé dès que la couverture végétale est détruite : feu, pâturage excessif, agriculture, actions anthropiques diverses …

Par l’étude de sa microfaune, il devrait être possible d’apprécier la qualité d’un sol, et éventuellement son degré de dégradation. Malgré des travaux relativement importants, Yves Coineau me confiait en 2001 que les investigations menées à ce jour étaient encore bien insuffisantes, alors que les chercheurs se montraient confiants et optimistes dans les années 1960-70. Pourtant, plus que jamais, il s’avère nécessaire de protéger les sols et, pour cela, il importe de faire connaître davantage l’importance des êtres vivants présents dans des sols équilibrés(8), un aspect trop méconnu des biotopes à préserver.

Villeneuve (04) – 8 août 2017

(1) La vie dans les sols. P.Pesson & al. 1971. Gauthier-Villars éditeur.

(2) Introduction à l’étude des microarthropodes du sol et de ses annexes. Y. Coineau. 1974. Doin éditeurs.

(3) Techniques d’étude des populations des microarthropodes su sol. Guy Vannier. In « La vie dans les sols », P.Pesson & al. 1971. Pages 83 – 110.

(4) Ces animaux minuscules qui nous entourent. Y. Coineau & al. 1997. Delachaux et Niestlé. Page 42.

(5) Un élément caractéristique de la pédofaune : les Collemboles. Z. Massoud. In « La vie dans les sols », P.Pesson & al. 1971. Pages 337 à 388.

(6) Zoologie II. P.P. Grassé et A. Tétry. 1963. Encyclopédie de la Pléiade.

(7) Le sol, ce grand oublié. France Bequette. Juin 1997. Le courrier de l’Unesco.

(8) La biologie des sols. Yvon Dommergues. 1968. PUF.

RSS
Follow by Email